Réflexions : Qu’est-ce qui vient avant l’addition ?

Drapeau rouge : Cet article demande quelques connaissances mathématiques intermédiaires ainsi qu’une bonne capacité d’abstraction


Dans sa dernière vidéo sur Micmaths, Mickaël Launay nous pousse à la recherche,à l’interrogation, avec une question aussi intrigante que vague : qu’est-ce qui vient avant l’addition ?

Précisons le sens de cette question : l’addition est la première opération que nous apprenons à l’école. Ensuite vient la multiplication, et les fameuses tables que nous avons dû réciter par coeur. 3 x 4 ? 12 ! Mais ne serait-ce pas là une manière plus simple d’écrire 3 + 3 + 3 + 3, où le chiffre 3 apparait 4 fois ? La multiplication peut être vue comme une addition répétée, présentée sous une forme plus compacte, plus brève. De la même manière, la puissance est une façon d’écrire la répétition d’une multiplication de manière plus agréable, et il existe des notations pour la répétition de puissance, pour la répétition de répétition de puissances, et ainsi de suite.

Mickaël Launay interroge alors : l’addition pourrait-elle être une façon d’écrire une autre opération de manière plus compacte ? Et cette opération, est-elle également une écriture d’une autre opération ? Et ainsi de suite, peut-on remonter indéfiniment ?

Dans cet article, je vous propose mes réflexions sur le sujet. Attention, elles ne doivent absolument pas être prises au pied de la lettre : il ne s’agit que des essais d’un modeste passionné de mathématiques qui se prête au défi lancé par un vidéaste qu’il suit et apprécie. Certaines idées vous plairont peut-être, d’autres vous sembleront grotesques, c’est le jeu de la recherche après tout ! Il se peut d’ailleurs que, dans la précipitation, je sorte de grosses âneries, mais vous ne manquerez pas de m’en faire part dans les commentaires ! Il faut savoir confronter ses avis, alors… avisons !

Dans quel ensemble ?

Analysons d’abord la question : quelle opération pourrait venir avant l’addition ? A cette question, j’en apporte une autre : l’addition, oui, mais l’addition de quoi ?

Tous comme les opérations, notre connaissance des nombres et des objets mathématiques ne cesse de s’étoffer au cours de notre scolarité, et même après. Nous commencer par des entiers, puis découvrons les rationnels, enchaînons sur les réels avant de se frotter aux complexes. Entre temps, nous faisons connaissance avec les vecteurs, les suites, les fonctions, les égalités, les équations, les polynômes, et tout un tas d’autres objets pour lesquels il existe une addition.

Seulement, le réflexe que nous pouvons avoir, c’est de penser immédiatement aux nombres entiers (et je dirais même plus, aux entiers naturels). A vrai dire, cette pensée n’est sans doute pas mauvaise : dans sa construction dans sa définition de l’addition, Peano ne se souciait guère de toutes ces fantaisies. Ses axiomes décrivaient parfaitement l’arithmétique, et nous pouvons nous en contenter.

Lorsque l’on observe plus en détails la construction des ensembles de nombres, nous nous rendons compte par ailleurs que toutes les additions sur ces ensembles ne sont en fait que les prolongations de l’addition que nous avons sur les entiers naturels. Pour les relatifs, il suffit de symétriser. Pour les rationnels, c’est un passage au quotient. Pour les réels, c’est un peu plus compliqué, et cela dépendra fortement de la construction que l’on préfère à cet ensemble. Bref, comprendre l’addition des entiers suffit à définir celle des réels. Il est d’ailleurs intéressant de noter que l’addition est définie par prolongement d’une opération d’un ensemble plus petit vers un ensemble plus grand, plutôt que comme la restriction d’un ensemble plus grand vers un plus petit.

Faisons simple : contentons-nous d’addition d’entiers pour le moment !

Posons le problème

Le but est d’écrire l’addition comme la répétition d’une autre opération, à laquelle nous donnerons un nouveau signe. Comme je suis un grand sentimental, je désignerai cette nouvelle opération par le signe ♥. Prenons un exemple : l’écriture 2 + 3 désignerait en fait 2 ♥ 2 ♥ 2 où 2 apparaît 3 fois.

Nous savons par ailleurs que l’addition sur les entiers est commutative, nous pouvons inverser l’ordre des nombres dans le calcul. 2 + 3 = 3 + 2. En utilisant notre nouvelle notation, nous obtenons des égalités intéressantes. Par exemple :

2 ♥ 2 ♥ 2 = 3 ♥ 3 = 5

Mais le plus intéressant nous viendrait du nombre 1. En effet, si nous transposons l’addition 4 + 1 dans notre nouvelle notation, nous obtenons simplement 4. Inversement, nous savons que 4 + 1 = 1 + 4, et 1 + 4 s’écrit 1 ♥ 1 ♥ 1 ♥ 1. Par conséquent,

4 = 1 ♥ 1 ♥ 1 ♥ 1

Oui mais voilà, ce que nous avons écrit est la généralisation des écritures 1 + 4 et 4 + 1… Et, dans un monde où tout se passe bien, cela devrait être 5… Sauf que là, je me retrouve avec 4 !

Pire encore ! Je peux bien écrire 0 + 4 comme étant la notation compacte de 0 ♥ 0 ♥ 0 ♥ 0, lequel doit valoir, d’après l’addition, 4. Oui mais, comment écrire 4 + 0 ? Comment écrire une opération où le 4 n’apparaît 0 fois ?

Et à partir de ce moment-là, je commence à avoir mal au crâne à réfléchir à beaucoup de choses… Mais je ne reste pas moins sans piste !

Eléments neutres et nombre de fois

Il existe, pour l’addition, un nombre assez sympathique : 0. On l’appelle l’élément neutre pour l’opération « addition » (ou plutôt, pour la loi de composition interne d’addition), et cela se traduit assez simplement : pour n’importe quel nombre a, a + 0 = 0 + a = a. Ajouter 0 ne change pas le nombre. Pour la multiplication, l’élément neutre est 1. Pour l’opération de puissance, celui-ci disparaît néanmoins.

Quel pourrait-être l’élément neutre de cette opération ? Et surtout, que pourrait-il apporter ?

Pour la réponse à la deuxième question,  il arrive parfois aux mathématiciens de faire des sommes d’éléments d’un ensemble vide… Autrement dit, de n’additionner rien du tout ! Cette somme vaut alors 0, puisque c’est l’élément neutre de l’addition. De même, le produit de rien du tout vaut 1.

Avec notre nouvelle opération, nous pourrions alors imaginer « coeurer » rien du tout. Cela pourrait peut-être lever les « soucis » que nous rencontrons avec notre écriture du 4 + 0, quand il faut « coeurer 4 zéro fois », autrement dit, ne rien coeurer du tout. Cela pourrait également résoudre le problème d’ambiguïté que nous avions plus haut avec l’égalité suivante :

4 = 1 ♥ 1 ♥ 1 ♥ 1 = 1 + 4 = 5

Se pourrait-il que nous manquions d’un élément neutre pour « corriger cette égalité » ?

Une autre pensée, un peu plus philosophique, me vient cependant à l’esprit. Lorsque nous essayons de compacter certaines opérations qui sont répéter un certain nombre de fois. Mais quelle est l’opération qui compte justement ce nombre de fois, si ce n’est l’addition elle-même ?

Autrement dit, il se pourrait que, pour donner une définition correcte d’une nouvelle opération, il faille être capable de compter un nombre de fois qui soit compatible non pas avec l’addition, mais avec le coeurage. Oui, le coeurage, parfaitement !

D’ailleurs, ce parti pris de ne choisir que les entiers est-il finalement si légitime que cela ? Faudrait-il considérer un ensemble plus grand ? Créer un nouvel ensemble ?

J’espère que ces réflexions n’auront pas fait exploser votre cerveau. Je reviendrai peut-être à la charge si d’autres idées me viennent à chaud, ou un peu plus tard, lorsque tout sera décanté. D’ici là, n’hésitez pas à réfléchir vous-même à la question !

 

 

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9 commentaires pour Réflexions : Qu’est-ce qui vient avant l’addition ?

  1. Article très interessant, effectivement, un tel opérateur pose problème avec ce qu’on sait des nombres. Du coup j’ai essayé, comme suggéré, de creuser du coté d’un éventuel élément neutre ε.

    J’ai donc posé x, un nombre quelconque (pour ce que je sais il pourrait appartenir à l’ensemble des complexes), et je suis parti de la définition de base de l’élément neutre, c’est-à-dire:

    x ♥ ε = x

    Ma réflexion a été, si l’opération ♥ existe dans l’arithmétique, alors je devrait pouvoir le combiner avec n’importe quel autre opération arithmétique.

    Donc j’ai posé aussi x = 0 + x

    L’équation du haut devient donc:

    x ♥ ε = 0 + x

    Or par définition de l’opérateur ♥, 0 + x = x ♥ x ♥ … x, 0 fois. Or si on somme 0 nombres où multiplie 0 nombres, on obtient l’élément neutre de ces opérations, j’ai donc étendu cette règle à l’opérateur ♥.

    Du coup x ♥ ε = ε. L’élément neutre de l’opération ♥ serait absorbant, ce qui poserait pas mal de problème.

    Mon raisonnement a plusieurs points faibles et j’en suis conscient, mais j’ai réfléchis de façon à ce que l’opérateur ♥ soit facilement intégrable à l’arithmétique qu’on connait. C’est peut être une erreur. Il se peut qu’une telle opération ne s’applique pas à l’ensemble de nombre que j’ai choisi. Mais je pense pouvoir conclure que l’élément neutre de cette opération, s’il existe, pose problème.

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    • Automaths dit :

      En effet, il semblerait que la recherche d’un élément neutre nous conduise à ce genre de conclusion.

      Peut-être devrions-nous être plus prudent lorsqu’il s’agit d’étendre les notions que nous utilisons pour les autres opérations : en mathématiques, évident est le mot le plus dangereux !

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      • Justement, j’y ai réfléchi, et ça semble logique que 0 répétitions d’une opération donne l’élément neutre. L’élément neutre, c’est le « rien » d’une opération, et si on a pas d’ opération, si on a pas de termes, c’est normal de ne rien obtenir. Après peut être que le concept d’élément neutre n’a pas de sens dans cette opération. Voyons si on peut trouver des propriétes à cette opération.

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    • Certes à partir de la fonction successeur, on peut répondre à la question de Micmaths, mais je n’aime pas cette solution pour plusieurs raisons:
      * L’opération est unaire, alors que toutes les opérations que Micmaths a cité sont binaires (addition, multiplication, etc…)
      * Cet opérateur ne soulève pas tant de question que ça, dommage pour un boulot de recherche
      * Dans la fonction successeur pourquoi avoir pris 1 comme incrément, et pas 2,45, ou pi. Quelque chose me semble arbitraire.

      Mais admettons, on part sur l’addition qui est une répétition de la fonction successeur. Est ce qu’il existe un opérateur qui répète la fonction successeur, peut on trouver toujours plus primitif?

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      • Automaths dit :

        Pour ma part, je ne suis pas non plus convaincu par l’opérateur de succession (ou incrémentation, puisqu’il s’agit bien, si on considère les entiers, d’augmenter de 1).

        Il est tout à fait possible de la voir comme une relation binaire, en décrétant que « S(a,b) = le successeur de a » ,par exemple, revenant à ignorer le second terme de cette relation mais quelle pauvreté ! Nous perdrions là toutes les belles propriétés de l’addition : sa commutativité, et surtout son associativité : l’ordre dans lequel nous ferions nos opérations changerait le résultat à coup sûr.

        Dans l’idéal, nous aimerions (enfin, j’aimerais, surtout) conserver au moins cette associativité dans notre nouvelle opération. Ce n’est pas gagné !

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  2. Ping : Avant l’addition : Problèmes de succession | Automaths

  3. Giovanni Guilland dit :

    Salut

    Je ne suis pas très brillant en math mais t es vidéo m interpelle et sont excellentes alors j ai donc un peu réfléchi à la question
    Aller j me lance
    Avant l addition il y a la division de nombres négatif.
    Ou pas 🙂

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  4. Pierre-André Long dit :

    Je vais ici montrer qu’il existe une loi ° tel que:
    Pour a>=2,b>=0 entiers : b°b°…°b (avec a fois b) = a+b
    Et que :

    Si a et b ne se succèdent pas:
    a°b = | max(a,b) + 1 (si a=b)
    | max(a,b) + 1 (sinon)
    Sinon:
    On peut donner n’importe quel valeur à a°b.

    ANALYSE:
    Soit ° tel que :
    Pour a,b entiers : b°b°…°b (avec a fois b) = a+b
    Soit a,b entiers.
    Supposons que a et b ne se succèdent pas.
    Si a>b:
    b°b°…°b (avec (a-b) fois b)= (a-b) +b
    = a
    On peut faire b°b°…°b (avec (a-b) fois b) car a-b >= 2.
    Donc:
    b°b°…°b°b (avec (a-b+1) fois b) = a°b
    (a-b+1)+b = a°b
    a°b = a+1
    –> a°b = max(a,b)+1
    Si a= 2.
    Donc:
    a°a°a°…°a (avec (b-a+1) fois a) = a°b
    (b-a+1)+a = a°b
    a°b = b+1
    –> a°b = max(a,b)+1
    Si a = b:
    a°b=a°a=2+a
    Ainsi Si a != b : a°b = max(a,b)+1
    Sinon : a°b = a+2

    SYNTHESE:
    On pose °:
    a°b = | a + 2 (si a= b)
    | max(a,b) + 1 (sinon)
    Soit b entier naturel.
    Montrons par récurence sur a >=2:
    Pa : « b°b°…°b (avec a fois b) = a+b  »
    Initialisation:
    b°b°…°b (avec 2 fois b) = b°b = 2+b
    Donc P2 est vraie.
    Heredité:
    Soit a >= 2 tel que Pa est vraie.
    b°b°…°b (avec a fois b) = a+b
    b°b°b°…°b (avec (a+1) fois b) = (a+b)°b
    = max(a+b,b) +1
    = (a+b) +1
    =(a+1) +b
    Donc P(a+1) est vraie.
    Donc par récurence :
    Pour a >=2 : b°b°…°b (avec a fois b) = a+b

    D’ou:
    Pour b>=0,a>=2 : b°b°…°b (avec a fois b) = a+b

    Il existe alors une loi ° tel que:
    Pour a>=2,b>=0 entiers : b°b°…°b (avec a fois b) = a+b
    Et cette loi est:
    a°b = | a + 2 (si a= b)
    | max(a,b) + 1 (sinon)

    On remarque que ° est commutative:
    Soit a>=2,b>=0:
    Si a = b :
    a°b = a°a = b°a
    Sinon:
    a°b = max(a,b) +1
    = max(b,a) +1

    = b°a
    On remarque que + est distributive par rapport à ° :
    Soit a,b,c entiers naturels.
    Si b=c:
    a+(b°c) = a+(b°b)
    = a + 2+ b
    (a+b)°(a+c) = (a+b)°(a+b)
    = a + b + 2
    Donc a+(b°c) = (a+b)°(a+c).
    Sinon:
    a+(b°c) = a + max(b,c) + 1
    = max(a+b,a+c) + 1

    = (a+b)°(a+c)
    On remarque que ° n’est pas associative :
    0°(0°3) = 0°(max(0,3) + 1)
    = 0°4

    = 5
    Mais:
    (0°0)°3 = (2 +0)°3
    = 4
    En revanche on a la propriété:
    Pour a>=0, a°(a°a) =(a°a)°a
    (par commutativité de °)
    ° ne possède par ailleurs pas d’élément neutre entier:
    Supposons e>=0 neutre de °:
    e°e = e
    = 2 + e
    0=2
    ABSURDE.
    On ne peut ainsi pas faire l’opération a°a°…°a (avec 0 fois a) , ni a°a°…°a (avec 1 fois a) .

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