Drapeau jaune : Cet article demande quelques connaissances mathématiques et un peu d’abstraction pour être entièrement compris
π, formidable nombre π. Probablement la constante la plus connue en mathématiques, on la connait d’abord comme étant le rapport entre le périmètre d’un cercle et la longueur de ses diamètres. Sa valeur, à peu près 3 pour les plus simplistes, environ 3.14 pour ceux qui veulent un peu plus de précision, aux alentours de 3.1415926 pour les personnes qui souhaitent frimer auprès de leur famille, ou encore 22/7 pour les amateurs de fractions continues (mais ça, on y reviendra). Et si finalement, tout n’était que mensonge ? Si, en réalité, cette constante à qui l’on donne moultes étonnantes propriétés ne se résumait finalement qu’à un bête nombre entier ?
Périmètre de cercles
La seule formule à connaître pour l’article qui va suivre est la suivante : si nous considérons un cercle de rayon quelconque R, alors le périmètre de ce cercle – sa « longueur » – est égale à 2πR. Plutôt que de calculer le périmètre de tout le cercle, nous allons plutôt prendre le demi-cercle, et nous supposerons que le rayon vaut 1. Ainsi, la longueur de cet arc de cercle vaut la moitié de 2 x π x 1, c’est-à-dire π.

Ce demi-cercle de rayon 1 a une longueur de π
Maintenant, nous allons diviser le diamètre de ce cercle en deux parties égales. Nous pouvons alors dessiner deux demis-cercles dont le diamètre est deux fois plus petit que le diamètre du premier cercle. Par conséquent, le rayon est également deux fois plus petit, et vaut 1/2. Pour chacun de ces demis-cercles, le périmètre vaut donc π/2. Si l’on calcule la somme de ces deux périmètres, on obtient de nouveau π.

La longueur cumulée des deux petits arcs de cercle (en vert) est aussi égale à π
Nous pouvons encore diviser chacun de ces deux demis-cercles en deux. Nous obtenons alors quatre demis-cercles, ayant chacun pour rayon 1/4. Si l’on fait la somme des périmètres de ces quatre demis-cercles, on obtient de nouveau π, et on peut procéder ainsi autant que l’on veut.

On peut ainsi continuer en augmentant le nombre de cercles et en diminuant la taille de ceux-ci. La somme des longueurs des demi-cercles est toujours égale à π.
Plus on progresse, plus l’on se rapproche du diamètre, symbolisé par la ligne en pointillé sur le dessin. Ainsi, on peut se dire que la longueur totale des demis-cercles est égale à la longueur de ce diamètre, qui vaut 2. Ainsi, on prouve que π = 2.
Où est la faille ?
De toute évidence, quelque chose ne colle pas : il a été montré et redémontré que π ne valait certainement pas 2. On peut par ailleurs facilement s’en convaincre en enroulant une corde autour d’un cercle de rayon 1 et mesurer la longueur de cette corde après un tour de cercle. Même si on ne pourra pas avoir une précision extrême, on constatera bien vite que la longueur de ce bout de corde sera supérieure à 3.
Le problème vient de la phrase suivante, invoquée deux paragraphes plus tôt : « Ainsi, on peut se dire que la longueur totale des demis-cercles est égale à la longueur de ce diamètre ». Intuitivement, on se dit que si des courbes se rapprochent aussi près que l’on veut d’une autre courbe, alors leurs longueurs se rapprochent également. En l’occurrence, la longueur de tous nos arcs de cercles vaut π, il paraîtrait donc logique et évident que la courbe vers laquelle ces demis-cercles se rapprochent – on parle de courbe limite – ait aussi une longueur de π.
Et pourtant… On ne le répète jamais assez, mais « évident » est sans doute, en mathématiques, le mot le plus dangereux. Le raisonnement que l’on fait peut se résumer grossièrement ainsi : la longueur de la courbe limite est égale à la limite de la longueur des courbes. Hélas, tout ne se passe pas toujours aussi bien dans le monde des mathématiques.
Limite et continuité
Prenons un exemple un peu plus simple, et revenons à l’article précédent : nous avions déterminé les distances parcourues successivement par Achille après un certain nombre d’étapes. Ces distances valaient 1, 1.5, 1.75, 1.875, 1.9375, et ainsi de suite. On se rapproche indéfiniment de la valeur 2, qui est la valeur limite de la suite.
Prenons alors une fonction, celle qui a un nombre associe sa partie entière. Par exemple, la partie entière de 1.25 est 1, la partie entière de 2.46846212 est 2, etc. Pour toutes les distances successives qu’Achille parcourt, la partie entière vaut 1. La limite de ces parties entières vaut donc également 1. Pourtant, si on prend la partie entière de la valeur limite, on obtient 2, autrement dit, la partie entière de la limite n’est pas la limite de partie entière.
La raison de ce phénomène tient en un mot : continuité. En effet, la fonction qui à un nombre associe sa partie entière n’est pas continue – en d’autres termes, et en simplifiant à l’extrême, si on souhaite tracer la courbe de cette fonction, il n’est pas possible de le faire sans lever son stylo.
En vérité, le raisonnement que nous avons suivi permet de démontrer que la fonction qui à une courbe associe sa longueur n’est pas continue. On peut montrer que le segment est bien la courbe limite des demis-cercles, mais on constate que la longueur des segments et la limite des longueur des demis-cercles est différente.
Voilà qui résout notre problème !